A écouter mon interview sur France Info:
Je publie avec Laura Boldrini, présidente de la Chambre des députés italiens, une tribune sur la crise grecque et la question des migrants, à lire ci-dessous:
La crise grecque comme la question des migrants montrent que l’Union ne va pas dans la bonne direction.Il est insensé de continuer à fermer les yeux sur le fait que l’Europe, incapable de consolider son intégration politique et de se projeter dans l’avenir, renonce à elle-même. Deux crises de ces dernières semaines démontrent clairement que nous n’allons pas dans la bonne direction.Il y a d’abord les vicissitudes euro-grecques, qui atteignent désormais leur paroxysme dramatique avec le référendum. Comment a-t-on pu en arriver là ? Comment expliquer que nous ne soyons pas parvenus à trouver un terrain d’entente, avec les autorités d’un espace économique qui ne pèse pas plus de 2% du PIB de l’Union ? Dans le même temps, force est de constater que les politiques menées au cours des dernières années par la «troïka» – Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international –, en appui à la Grèce, ont failli. Au vu des résultats auxquels elles ont conduit, l’on pourrait même affirmer qu’elles ont été menées au détriment de ce pays. Le PIB grec qui, en 2008, n’était inférieur que de 7% à la moyenne de l’UE, a chuté en 2013 à moins de 28%. Comment, dans ce contexte, qualifier d’aides des interventions aux effets si ravageurs sur la vie des Grecs ? Le médecin a prescrit le mauvais remède, mais il s’acharne sur son patient – et peu importe si celui qu’il assiste risque sa vie ! Ce n’est pas qu’une métaphore : le nombre d’enfants abandonnés dans les orphelinats grecs a triplé en quelques années, un tiers de la population n’a pas de couverture médicale et le pouvoir d’achat a chuté de 40%. Il est inadmissible que la conscience de ces chiffres n’influe pas sur les politiques économiques de l’Union européenne. Ces données rendent tout aussi inadmissibles les déclarations de certains responsables européens, qui feignent de s’étonner qu’une grande partie de la population grecque rejette le régime qui lui est imposé.Il y a ensuite le défi de l’immigration, qui s’est installé dans le débat continental comme un sujet incontournable, qui cristallise les tensions, et laisse libre cours aux fantasmes de tous ordres. Dans ce domaine également, si l’on analyse objectivement les chiffres, il y a de quoi se sentir dérouté. L’Union européenne est décrite comme assiégée, pour avoir reçu l’année dernière, dans ses 28 pays, 626 000 demandes d’asile. Un continent qui représente, malgré la crise, l’économie la plus riche du monde, serait mis à genoux – d’après des campagnes politiques dont il est inutile de dévoiler les arrière-pensées – par un peu plus d’1% des 60 millions de personnes qui sont contraintes à l’exil par les guerres et les persécutions. Ce peuple sans terre et sans nom, dont le nombre est égal à la population de l’Italie et un peu inférieur à celle de la France, ne fait qu’effleurer l’Europe, tandis qu’il déferle massivement sur les pays les plus proches des zones de conflit. Le Liban, la Jordanie et la Turquie, qui accueillent des millions de réfugiés syriens, peuvent légitimement parler d’urgence ; l’Iran et le Pakistan, qui accueillent des millions d’Afghans, le peuvent également ; mais comment pouvons-nous, ici, crier à l’invasion ? Le drame, ce sont les migrants qui le connaissent, pas nous. Que les migrations constituent un défi pour nos pays, cela est indiscutable ; mais nous avons aussi tous les moyens de le relever. Au lieu de prendre sereinement nos responsabilités, nous demeurons passifs, affligés et honteux, devant les images qui nous arrivent de Vintimille: quelques centaines de personnes auraient pu devenir – c’est effroyable – un sujet de tension entre l’Italie et la France, alors qu’il suffirait que chaque État de l’Union accepte de prendre sa part.En nous regardant nous déchirer, nous replier sur nous-mêmes et stagner, que penseraient de nous Spinelli, Schuman, et Adenauer ? Comment réagiraient-ils, en découvrant que l’idée qu’ils ont su concevoir dans des années de véritable tragédie, et qu’ils ont su faire grandir dans les décombres de l’après-guerre, s’est enlisée, fracassée sur ces récifs frontaliers ? Rappelons-nous que l’Europe existe aussi par les principes qu’elle fait vivre : elle est le continent des droits, du respect de la dignité humaine, de la solidarité envers ceux qui sont dans la difficulté. C’est ce qui nous a rendus grands dans le monde, c’est un point de repère pour tous ceux qui ont à cœur la liberté et la justice sociale.
Oublier cette histoire, ne pas en éprouver la fierté, ce n’est pas qu’une trahison. C’est aussi une démonstration flagrante de myopie et de masochisme. En effet, dans un monde globalisé, les questions irrésolues – qu’il s’agisse de la crise grecque ou des conflits que fuient les réfugiés – ont, et continueront d’avoir chez nous des répercussions directes, que nous le voulions ou non. Il nous revient de décider si nous souhaitons relever ces défis en les gérant avec lucidité, en travaillant sur des solutions, en nous investissant dans une Union plus solidaire, en son sein et vis-à-vis de l’extérieur, une Union politique, pleinement politique. Ou si nous allons continuer de nous agiter sans avancer, ce qui revient à céder devant les nombreux populismes qui fondent leurs fortunes sur la crise économique et la rhétorique xénophobe, et à accepter que les bâtisseurs de murs tournoient, satisfaits, sur les ruines de l’idéal européen. Parce que nous sommes des optimistes forcenés, nous croyons qu’il est possible d’emprunter résolument la première voie. Nous espérons que les deux épreuves que traverse aujourd’hui notre Union pousseront chacun des Etats-membres à prendre la mesure de l’urgence européenne.
Laura Boldrini, présidente de la Chambre des députés italiens, et Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale française.
Étiquettes: europe grece Migrants